vendredi 28 août 2009

En sol protégé

Ce fut comme marcher sur un guêpier : ils se sont réveillés d’un coup, surgissant de partout, emplissant la forêt de leur clameur faite de râles et de sanglots. En quelques jours, notre escadron était dispersé dans les bois, de la merde plein les culottes.
On s’est mis à étudier les craquements que faisaient leurs pas sur le lit de feuilles mortes. Bien exercé, on pouvait savoir à l’oreille combien ils étaient alentours. Mais c’était presque inutile: on n’avait jamais assez de balles dans un chargeur pour tous les abattre. Il fallait être rapide, sournois et savoir se cammoufler. Ils étaient si nombreux qu’on se demandait comment on avait pu ignorer leur présence aussi longtemps. La mission d’éclairage s’était ridiculement travestie en partie de chasse. Et on était les proies.

On les entend gratter contre les murs vermoulus de la vieille grange. Ça ne tiendra plus longtemps. On y repensera à deux fois avant de marcher sur des sols interdits. Interdits parce que sacrés; sacrés parce que protégés. Protégés par quelque chose qui protège vraiment. Qui protège de façon violente et résolue. Qui protège franchement mieux que les murs du monastère ou qu’un talisman sculpté dans le toc.
On les entend gratter contre les murs vermoulus de la vieille grange. Ça ne tiendra plus longtemps…

mercredi 26 août 2009

Promenade

Les sentiers ne m’ont jamais mené aussi profondément dans les bois. Entre les troncs et les branches, j’aperçois le domaine abandonné. Rouillées, tordues et recouvertes de végétation, les barrières n’interdisent plus personne. La forêt a réclamé le sol sacré. Les arbres trempent leurs racines dans la fange bleuâtre. Pas de son sinon la rumeur d’un discret regroupement.
Penchés sur les mares, accroupis sous les saules centenaires, les lépreux attendent, muets, l’œil jaune et craintif. Par réflexe, ils se couvrent le corps de leurs vieilles loques pleines de mites.
J’ai longtemps cherché la raison qui les a poussés aussi profondément dans les bois. À force de réfléchir, je suis venu à différentes conclusions. Il faudrait que je sois moi aussi lépreux pour bien comprendre. Je les compte du regard, m’habituant à la pénombre. Ils sont une vingtaine. Quarante pupilles qui me fixent, se demandant ce que je suis venu faire dans l’antichambre du trépas.